Cent voyages.

« Cent voyages »

de Saïdeh Pakravan

« Cent voyages » , des éditions Belfond, est un coup de cœur de la rentrée littéraire.

Garance a vécu cent voyages… Elle a connu des échecs amoureux… Elle ne s’entend pas à merveille avec sa famille… Garance erre… Elle a vécu, vraiment vécu, s’est sentie vivante pendant 36 mois, les 36 mois de vie de sa fille, Myriam… Garance mène une quête, une vie d’éphémères et de fragments.

« Et puis je repense à la rencontre fortuite avec Coralie au marché d’Auteuil, celle où elle m’avait parlé de notre père. Je me souviens d’avoir regretté ce jour-là – encore des regrets, à croire que je ne connais que cela – de ne pas sentir une appartenance, une responsabilité – que la voix du sang ne me parle point ou que je fasse semblant de ne pas l’entendre. Je me note mentalement d’aller un jour voir mon père, ce qui n’arrivera que bien, bien longtemps plus tard. »

« Cent voyages » est un roman qui m’a bouleversée… La vie de Garance m’a touchée, je me suis attachée à elle, je me suis sentie proche d’elle… Est-ce de par la plume de Saïdeh Pakravan? Est-ce de par la solitude de Garance? Est-ce de par cet amour inconditionnel qu’elle a pour sa fille? Pour toutes ces raisons en fait. Garance a une vie singulière, où l’amour parental n’est pas des plus présents, où l’amour est décevant, où les attaches n’existent pas vraiment. Garance vit sa vie non pas par choix, mais parce qu’il faut la vivre… Et sa vie se résume à tous ces voyages qu’elle a fait, dès jeune avec son départ chez son père à Téhéran et Garance en a gardé le goût: elle quitte régulièrement tout pour partir voyager…

« Je regarde une dernière fois la liste de mes contacts avant de l’effacer. Y aura-t-il quand même quelqu’un à tenir au courant de mon départ, à charger de me prévenir en cas de nécessité, avec qui tout simplement échange quelques paroles amicales, de qui entendre des souhaits de bonne continuation, de prompt retour, de succès dans mes entreprises? »

L’auteure a construit son roman, l’histoire de Garance, autour de trois personnages qui ont fait partie de sa vie en trois chapitres: Henri, son compagnon, Myriam, sa fille, et Daniel, son dernier compagnon. Garance vit sa vie autour, aux côtés de ces trois personnes mais là où elle est la plus heureuse est quand elle est avec sa fille. Saïdeh Pakravan nous livre un personnage mélancolique, solitaire, qui n’a besoin de personne pour être, qui attend rien ni des autres, ni de la vie en général. Elle s’est construite comme ça. En fait, Garance ne s’embarrasse pas ni du matériel, ni des autres sauf, bien sur, quand il s’agit de sa fille où l’amour est illimité. « Cent voyages » est une quête, une quête de soi-même, une quête pour nous connaitre, une quête pour apprivoiser. Nous faisons tous des voyages et à nous de retenir l’essentiel de ces voyages, ces voyages qui font qui nous sommes, ces voyages que nous désirons vivre ou pas. J’ai aimé faire ce voyage avec Garance, j’ai retrouvé de moi dans Garance, j’aimerais avoir le cran de Garance, j’ai des regrets comme Garance et comme Garance, j’avance dans la vie.

« Cent voyages » de Saïdeh Pakravan chez les éditions Belfond, le 10 janvier 2019.

 

Sans compter la neige.

« Sans compter la neige »

de Brice Homs

Je continue la rentrée littéraire avec « Sans compter la neige » de Brice Homs paru chez les éditions Les Escales et grâce à Anne & Arnaud.

Russell Fontenot va devenir père et il doit vite aller rejoindre sa compagne pour cet évènement. Mais voilà, le trajet va être bien plus long que d’habitude à cause d’une tempête de neige. Cela va durer 24h durant lesquelles Russell va revivre son enfance, les années de fac… Le fait de devenir père lui fait faire une rétrospection sur sa vie. Mais pourquoi sur cette route, Russell change de direction?

« Quand je dis que je suis vraiment bon pour trouver des mensonges, (…), je parle des mensonges délibérés, récurrents, nécessaires. Des mensonges du genre: non rien de nouveau côté rencards; oui je sors avec une nouvelle fille mais tu la connais pas; des voies de garage du genre: oui Madame Koz, je contrôle votre fils… Je parle des vies parallèles qu’on construit pour les laisser venir rouler sur les rails de la vraie vie comme des trains fous. »

« Sans compter la neige » est un roman français qui se déroule aux États-Unis mais ce roman est très américain en fait, ce qui lui donne un côté road trip comme les américains savent faire!! Brice Homs met en scène un futur père qui au fil des kilomètres va se repasser le film de sa vie avec son père, « le vieux », l’absence d’une mère, son meilleur ami Koz, ses différentes rencontres, ses expériences, et sa rencontre avec Jennie qui va faire de lui un père. Avec la neige qui ne cesse de tomber, Russell s’assombrit et se demande s’il veut vraiment devenir père et choisit de prendre une autre route que celle qui doit le mener à Charlottesville pour rencontrer son enfant. 24h, ce trajet dure 24h, 24h durant lesquelles le lecteur est dans l’habitacle avec Russell, durant lesquelles le lecteur regarde cette neige tomber jusqu’à l’empêcher d’avancer, durant lesquelles le lecteur se remémore avec lui son passé, ses absences, ses failles qui ont fait de lui cet homme d’aujourd’hui, durant lesquelles le lecteur a été attentif à ses pensées, ses questionnements, ses réflexions, 24h durant lesquelles le lecteur a accompagné Russell dans sa propre quête d’identité. Le passé peut-il nuire à son présent, à sa faculté d’être un bon père?

L’auteur, Brice Homs, a créé dans son roman une atmosphère bien particulière avec cette tempête de neige qui rend plus vigilant, plus concentré sur les mots, sur la lecture. Et derrière, il y a comme une petite musique, un son américain bien sur (Brice Homs est musicien et parolier) et aussi la culture cajun. « Sans compter la neige » est un roman cinématographique dans lequel je m’y suis plongée vite, où les retours en arrière se marient parfaitement avec le récit au présent, où les liens entre les deux sont fluides et permettent de révéler un personnage sensible, attendrissant qui cherche à faire toujours mieux. Entrez dans la voiture de Russell et prenez la route pour 24h avec lui, vous ferez un beau voyage!

« Sans compter la neige » de Brice Homs chez Les Escales, le 17 janvier 2019.

 

 

 

Délit de gosse.

« Délit de gosse »

d’Isabel Ascencio

Grâce aux Éditions du Rouergue, j’ai pu découvrir le roman d’Isabel Ascencio, « Délit de gosse ».

Jeanne veut un enfant avec Marie mais selon une conception traditionnelle. Elle ne veut surtout pas aller faire un enfant dans une clinique espagnole. Marie va « braquer » des gamètes mais pas n’importe lesquelles et pas à n’importe quel moment. Cela se passera lors du mariage d’Ernest, le petit frère de Jeanne, dans le parc du manoir familial, avec son ancien petit ami FH. Tout est scénarisé, plus qu’à y aller…

« J’ai été longue à réaliser que pour Jeanne, ça n’était pas juste du cinéma, ce gosse, mais une poussière d’étoile levée très tôt dans son enfance, qu’elle portait chevillée à l’âme. Dans le Périgord, là-bas, où elle était née fille et l’unique de la fratrie, elle s’était vue destinée à la maternité par une sorte de pente naturelle, aussi irrésistible que celle des grands frères vers le commerce international et la chasse d’automne avec gibecière de cuir, bottes et chiens. Et comme pour sa mère, ses grands-mères, ses tantes, les grossesses s’étaient toujours attrapées plus vite qu’une rougeole, jamais elle n’avait anticipé qu’une fois arrivé, ça puisse virer au casse-tête. »

« Délit de gosse » est un scénario. Son auteure, Isabel Ascencio, déroule l’histoire comme un film, d’ailleurs Jeanne travaille dans le cinéma. Le lecteur découvre le scénario du braquage des gamètes à la seconde près, les flash back de la rencontre de Jeanne et Marie et de la construction de leur histoire. Tout y est: les traveling, les placements des protagonistes, les pitchs, les séquenciers, les synopsis. Cette construction « scénario » permet une réelle visualisation des scènes et une infiltration au plus près des personnages et de leur histoire: les décors, les costumes, les acteurs.

À côté de cette construction, « Délit de gosse » aborde des thèmes sensibles et très actuels: l’homosexualité, le racisme, la pma, la religion, la pression familiale, le mariage pour tous. Ces thèmes sont amenés avec justesse par Isabel Ascencio et sans détour surtout. Jeanne vient d’une grande famille de catholique dont l’avenir était déjà tout tracé mais elle s’en est détournée, en secret, pour ne pas blesser sa famille, les mettre à mal. Elle fait ses propres choix, oui, mais en ayant toujours en tête l’héritage familial. Et c’est bien pour ça qu’elle ne veut pas d’un enfant conçu dans une clinique, comme ça. La conception de cet enfant doit être naturel d’où ce plan cinématographique, plan que Marie ne contredira pas et qu’elle appliquera pour Jeanne, par amour pour Jeanne.

J’ai aimé lire « ce scénario » car cela change des romans habituels, cela implique encore plus le lecteur qui rêve peut-être de devenir un des acteurs! « Délit de gosse » est un roman contemporain qui parle des sujets actuels d’une différente façon, sans jugement, sans avis. Et cela fait du bien.

« Délit de gosse » d’Isabel Ascencio chez les éditions du Rouergue, le 02 janvier 2019.

 

 

Chambre 128.

« Chambre 128 »

de Cathy Bonidan

Un roman épistolaire, un roman coup de cœur, un roman qui se doit d’être lu!!! Merci à Anne & Arnaud pour cette super découverte de « Chambre 128 » de Cathy Bonidan chez les éditions de la Martinière.

Hôtel Beau Rivage, sur la côte bretonne, chambre 128. Anne-Lise y découvre un manuscrit dans cette chambre 128 dans laquelle elle vient de séjourner. Elle lit ce manuscrit qui l’ému. Elle y trouve à l’intérieur une adresse. Elle renvoie le manuscrit à cette adresse, à son auteur. À partir de là, commence une relation épistolaire entre Anne-Lise et Sylvestre, l’auteur, qui a perdu ce manuscrit il y a 33 ans entre la France et le Canada. Et surprise, Sylvestre n’a pas écrit la fin de ce roman… Anne-Lise décide de découvrir comment le manuscrit est arrivé dans la chambre 128 et qui est l’auteur de la fin de ce même manuscrit.

« Ce n’est qu’au milieu de la nuit suivante que les mots ont commencé à tracer leur chemin et que j’ai compris. Lorsqu’on a tourné la dernière page, on se sent plus perméable à la beauté. On regarde les personnes que l’on croise avec une bienveillance qui n’est pas coutumière et on finit par étendre cette indulgence à notre propre reflet. Je reconnais que ce récit aide à sourire et à relativiser ces petits riens qui ont le pouvoir d’alourdir nos journées. C’est en tout cas ce que j’ai ressenti ce matin en me levant et curieusement, au même moment, j’ai reçu une lettre qui m’a troublée. »

« Chambre 128  » est le roman qui donne obligatoirement le sourire, qui donne foi aux autres, qui donne une folle envie d’écrire aux autres! J’aime vraiment les romans épistolaires: ils ont un je ne sais quoi qui fait palpiter son petit cœur quand on lit les échanges, lettres qu’on attend avec tellement d’impatience. Les romans épistolaires nous ralentissent, nous qui sommes dans la quête de « là, maintenant, tout de suite »! Et « Chambre 128 » est un roman empli d’humanité, de sensibilité, d’amour, d’amitié, de bonté, de famille et d’humour, de recherche, d’enquête, de voyages! C’est aussi un roman d’enquête qui se découvre au fil et à mesure de tous ces échanges épistolaires! Il y a beaucoup d’échanges dans ce roman car Anne-Lise va partir à la recherche des lecteurs de ce manuscrit, lecteurs qui se trouvent un peu partout en France, en Europe, dans le monde. Avec son amie Maggy, elles vont suivre le chemin de ce roman et vont découvrir que ce roman a changé la vie de tous ses lecteurs, qu’il a été bénéfique, qu’il a été la source de bien des changements. Et ce roman va changer aussi leur vie à elles, à Sylvestre son auteur. Et toujours grâce à ce roman, chacun va se livrer, va se raconter comme jamais dans toutes ces lettres, ces lettres qui vont permettre de très belles rencontres, de très belles retrouvailles, et de très beaux voyages!

J’ai tellement aimé ma lecture de « Chambre 128 » que je suis triste d’avoir quitté Anne-Lise, Maggy, Sylvestre, William, David et tous les autres. Je me suis attachée à tous, j’ai eu envie de leur écrire, de faire partie de leurs échanges, de lire ce roman!! En résumé, « Chambre 128 » est le roman qui fait un bien fou et je suis définitivement fan des romans épistolaires!!

« Je sais que cette lettre était inutile alors que nous nous sommes parlé hier, mais j’avais besoin de coucher sur le papier le bonheur d’être parvenus au bout du chemin. Un peu à la manière de ces marcheurs qui effectuent un pèlerinage et qui savent qu’au prochain virage, ils apercevront l’issue du voyage. Il y a autant de joie que de tristesse à l’idée qu’une page va se tourner et qu’une quête va s’arrêter. »

« Chambre 128 » de Cathy Bonidan chez les éditions de La Martinière, le 17 janvier 2019.

Interview de Constance Joly.

« Interview de Constance Joly »

Tout d’abord, merci infiniment Constance d’avoir accepté de répondre à mes questions!

Merci à toi, Sybil, de m’accueillir ici, dans ton bel espace…

 

 

-Mais qui est Constance en fait?

Une grande rêveuse, une vraie distraite, une amoureuse des mots.

Une fille unique, une mère de trois enfants, une amoureuse. Une éternelle fille qui aime la mer, la Bretagne, la Nature et le rock n roll. Une lectrice désordonnée, qui vous un culte à Jean Giono et à Richard Brautigan. Une petite fille qui ne faisait que lire et qui est devenue éditrice. Qui est aujourd’hui coach d’auteurs, qui n’aime rien tant qu’entrer dans les mots des autres, les aider à hisser le sens, le niveau.

-Pourquoi écris-tu?

Longtemps, j’ai cru que je n’écrirais pas. J’étais très bien à ma place (et je le suis encore) dans l’ombre des auteurs. Je ne voyais pas bien ce que je pouvais ajouter à ce qui est déjà. J’écrivais pour moi, et surtout de la poésie. Et puis un jour, le tigre est venu. Alors que j’essayais d’écrire un autre roman que j’avais en tête et qui ne venait pas. Le tigre est venu, donc, cette première phrase qui donne aujourd’hui son titre à mon roman, et je l’ai suivi sans me poser plus de questions.

-« Le matin est un tigre » est ton premier roman. Tu y parles de la relation mère-fille, c’est un sujet qui te touche particulièrement j’imagine. Pourquoi ce thème pour ton premier roman?

J’ai vécu cette épreuve de la douleur psychique d’un adolescent. Rien ne m’y préparait, l’enfance avait été si facile, puis ma fille est devenue une adolescente en grande souffrance, et nous avons vécu des années d’hospitalisation, de crises et de rechutes. Aujourd’hui qu’elle semble guérie, avec la distance, j’ai eu besoin de parler de cette douleur là. Je me suis demandé comment en témoigner, je n’avais pas envie d’une chronique de la maladie, et j’ai préféré investir une histoire, pour remettre de la poésie là où il n’y en avait plus. Je crois que cette épreuve que j’ai traversée, beaucoup de parents la connaissent. Je ne voulais donc pas écrire sur moi mais sur nous, adultes en déroute, démunis devant un enfant qui souffre et leur échappe. La fiction s’est donc imposée comme une évidence. Et puis les romans, la poésie, la littérature en somme, cette beauté-là m’ont aidée à vivre à l’époque, et c’est de la même façon qu’Alma, mon héroïne arrive à vivre cette crise.

-Alma, la mère de ton roman, a des ressemblances avec la maman que tu es, avec ta maman?

Oui, elle est une version de moi-même, sans doute la plus secrète, et la plus ancienne. Elle concentre la mère que je suis et la fille aussi. Elle est ce que la douleur m’a appris. Face à la peur, à la très dure réalité, Alma se choisit un monde acceptable. Elle, qui voit toujours ce qu’il y a de possible dans le quotidien le plus banal, ne voit plus rien. Face au drame, elle est collée à la vitre. Pour s’en détacher, elle trouve la parade : réinstaller la distance de la rêverie entre elle et cette vitre. Elle va essayer d’habiter un monde consenti. Le biais qu’elle choisit, c’est la rêverie, les glissements de sens, la poésie, la littérature qui vont lui permettre de rester en relation avec la beauté, et de les affronter vaillamment car il ne s’agit pas de les fuir et de trouver un refuge et de se consoler en fermant les yeux. Non, vraiment, car la littérature l’élève quand la vie la rabaisse. Elle lui apprend des choses, guide ses intuitions, lui permet d’aller vers elle-même. Alma est libraire-bouquiniste, elle vit dans les livres, elle a plus confiance dans les poètes que dans les médecins. D’où  cette intuition qu’elle a dans le roman, apparemment insensée qu’il faut qu’elle empêche à tout prix sa fille de se faire opérer. L’enjeu d’Alma c’est de maîtriser une vie qui lui échappe, faire un retour sur elle-même, comprendre ce qu’elle a transmis malgré elle à sa fille et s’en libérer. C’est en étant de plus en plus elle-même, en acceptant ce qu’elle est, qu’elle y parviendra.

-Pourquoi en avoir eu l’idée d’inclure dans ton roman cette maladie du chardon?

C’est une maladie métaphorique. Je n’ai pas nommé la maladie, mais on peut mettre plein de symptômes derrière : l’anorexie, les addictions, la dépression, la psychose… J’ai préféré inventer le chardon, qui symbolise la douleur, mais aussi la part vitale, inaltérable, pour accéder à quelque chose de plus universel, et parler à tout le monde.

-Le tigre, le chat roux, deux animaux qui ont des similitudes, des animaux qui ont une certaine importance pour toi?

C’est une chose qui m’a étonnée. Je ne pense pas souvent aux animaux dans la vie réelle, or ils sont très présents dans mon roman. Il y a ce chat roux qui ponctue la vie d’Alma, une biche aux yeux humides, un tigre et des poissons, beaucoup de poissons…. Les animaux représentent, je crois, le désir d’Alma, sa pulsion de vie. Lorsqu’elle est dévitalisée, ils apparaissent devant elle, comme pour lui manifester son existence psychique, la guider vers ses intuitions.

-Il t’a fallu combien de temps pour écrire ce roman? Depuis l’idée qui a germé dans ta tête au point final?

Il m’a fallu un an.

-Quand tu écris, as-tu déjà un plan bien défini ou est-ce que tu vois au fur et à mesure de la rédaction?

J’ai écrit ce roman dans l’ordre de ses chapitres, sans savoir ce qui arriverait ensuite. A un moment, j’ai eu l’idée de la nuit dans l’île et j’ai tenté de voir comment mon héroïne arriverait jusque là. Non, je n’ai pas de plan défini. J’étais comme Alma, à tâtonner dans le noir, à avancer malgré tout.

-Tu as une plume enchanteresse. Quel est ton secret?

Si je répondais sérieusement à cette question, je m’inquiéterais ! Non, mais merci, Sybil J Je ne sais pas. J’écris les sens en alerte, j’ai longtemps peint, par exemple, et lorsque je me promenais, j’avais l’œil « rectangulaire », je faisais le cadre dans un paysage, et notais mentalement les couleurs pour les reproduire chez moi. Je suis ainsi lorsque j’écris : les sens en alerte, même quand je n’écris pas. J’engrange. Et puis quand j’écris, je tente de faire vivre cette matière engrangée en étant attentive à restituer les couleurs, les sons, les odeurs…

-Comment te sens-tu alors que ton roman vient de sortir en librairie?

Heureuse.

-Les premiers avis sont déjà tombés et ils sont très positifs. Heureuse ou cela te met une pression supplémentaire?

Je ne suis pas un jeune auteur. Je vais fêter mes 50 ans dans quelques semaines, je crois que cela me protège un peu de cette pression que l’on peut ressentir. Je suis si heureuse d’être en vie, tout le temps, chaque jour. Même les jours où le tigre pointe. Publier ce roman est un bonheur de plus. L’âge est un filtre, je ne retiens que le meilleur.

-Comment vois-tu tes lecteurs? Quels rapports entretiens-tu avec eux?

Je suis émue par les lecteurs, dans un monde où il est si facile de faire autre chose. Les lecteurs sont ce que l’on peut souhaiter de meilleur dans nos sociétés. Donc, je les aime. Je n’entretiens pas encore véritablement de rapports avec mes lecteurs, mon roman est sorti il y a seulement trois jours, mais ces premiers lecteurs qui se manifestent, je les accueille avec émotion, respect, étonnement, joie…

-Comme lectrice, tu as des préférences de genres littéraires?

Je lis toutes sortes de choses. Des romans français, comme étrangers. J’ai un grand amour de la littérature japonaise, et de la littérature américaine, en particulier. Je lis beaucoup de poésie.

-Un conseil lecture pour la rentrée?

« L’écart » d’Amy Liptrot, m’a énormément touchée. L’histoire autobiographique d’une femme qui va soigner son addiction à l’alcool en retrouvant sa ferme familiale sur l’Archipel des Orcades, en aidant les brebis à mettre leurs agneaux au monde, en réparant des murets de pierre… Un récit de force intérieure, impétueux comme le paysage, impressionnant.

-Un dernier mot?

« Des jours où on n’est jamais vraiment là, il y en a… il y en a de ces jours qui partent avant même qu’on ait ouvert les yeux ». (extrait de Tokyo Montana Express de Richard Brautigan.) Ne laissons pas ces jours filer sans nous, ouvrons les yeux. Vivons…

Merci Sybil !

 

 

 

L’heure d’été.

« L’heure d’été »

de Prune Antoine

« L’heure d’été » est le premier roman de Prune Antoine. Il fait partie de la rentrée littéraire 2019 que les éditions Anne Carrière m’ont permis de découvrir.

Violette, jeune journaliste en devenir, part s’installer à Berlin, ville cosmopolite où tous se retrouvent. Elle a suivi Mir, un photographe et d’un commun accord, les deux vont vivre leur histoire pleinement, sans contrainte, libre. Ils vont évoluer en même temps que la ville de Berlin, de la crise économique, de la montée du populisme, du problème des réfugiés…

« C’est là que leur histoire avait vraiment décollé, là qu’il avait évoqué ses racines juives, l’absence de son père, là qu’ils s’étaient dit qu’ils s’aimaient. Plus tard, ils étaient partis plusieurs mois dans les Cyclades, ils avaient loué une bergerie et leur amour avait été scellé sous ce soleil éclatant et ces eaux cristallines. Il la révélait à elle-même, lui tendait un miroir dans lequel elle se découvrait et se réinventait, à des années-lumière de ce que sa famille ou la société attendait d’elle. Il ne la projetait pas ou ne la fantasmait pas, il l’acceptait telle qu’elle était. Dans un univers soumis à la performance et à la perfection, elle se trouvait chanceuse. »

« L’heure d’été » m’a fait connaître Berlin, une ville atypique selon Prune Antoine, une ville où tous les mondes se côtoient, où chacun pourra y trouver ce qu’il cherche, une ville que je souhaite pouvoir un jour découvrir. L’auteure se fait l’observatrice de la vie de Violette et de Mir. Ces deux là sont faits pour s’aimer mais ils vont le faire à l’heure de leur génération c’est-à-dire au jour le jour, pas de promesse, pas de longues déclarations d’amour… Chacun mène sa vie et chacun laisse une petite place pour l’autre dans son lit, dans sa vie! C’est la génération « je garde mon indépendance »! Prune Antoine met en avant cette génération Xennials (celle née entre 1977 et 1983), génération qui a grandi sans toute cette technologie mais qui l’a découverte et apprivoisée, qui a grandi avec la peur du Sida, qui a connu les grandes heures de la musique électronique, qui a testé les substances plus ou moins légales pour, à l’âge adulte, s’installer dans une vie avec travail et famille! Violette et Mir veulent rester ces « adultes en devenir » mais tout de même, la question se pose de leur mantra « la liberté » avec l’envie d’un enfant.

Dans « L’heure d’été », Prune Antoine dresse le portrait de notre société à travers la ville de Berlin: la recherche d’un travail, d’un appartement, les fins de mois difficiles, l’arrivée des réfugiés, la montée du mouvement populisme, les différences de classes sociales… L’auteure dit tout, sans détour et ça fait du bien. Prune Antoine a une plume qui nous emporte avec elle dans Berlin, une plume qui donne un bon rythme sans faiblir. Pendant ma lecture, je me suis retrouvée à certains moments étant de cette génération, certains souvenirs sont revenus et au final, nous aspirons à peu près aux mêmes choses!!! J’ai aimé la découverte de ce premier roman et la découverte aussi pour moi de la ville de Berlin!!

« L’heure d’été » de Prune Antoine chez les éditions Anne Carrière, 04 janvier 2019.